samedi 27 juillet 2013

L'enfant qui joue c'est tout.

Mesdames et Messieurs essuyez vous bien les oreilles avant d'entrer dans l'histoire aujourd'hui. Il faut des oreilles fraiches, bien dégagées pour écouter les enfants qui jouent.
C'est tout.
Réglez vos ouïes sur "matin du monde".
L'enfant joue. Non pas l'enfant jouet, l'enfant monstre que les adultes fabriquent avec leurs regrets. Non pas l'enfant retrouvé mort écrasé dans sa chambre sous un tas de jouets, non pas l'enfant-objet, non pas l'enfant scotché-télé, enchaîné à la chaîne, glouton optique tétant les excréments de la société-écran, petit junky au cerveau hamburger, l'enfant lobotomitélé.
Non, l'enfant qui joue, c'est tout.
Non pas le divin enfant sur le divan, mis à plat, disséqué, calibré, classé, scannérisé, répertorié, numéroté, rangé, psyché, lavé, séché. Adaptable, flexibilisable, mondiabilisable. Sinon? Sinon, virable, jetable, minable.

"Les passions humaines n'ont guère plus de valeur que les occupations des tout-petits". Sénéque nous l'avait dit. On peut se dire que les passions des tout-petits ont autant de valeurs que les occupations humaines.

L'enfant joue, se joue, se parle, se dessine, cherche sa place dans la glace, se fait un déguisement pour être reçu au concours de la vie, s'arrête, énigme. Essai un rêve au moment où il se produit.

Daniel Mermet


jeudi 25 juillet 2013

Là-bas si j'y suis...Carnets de route. Extraits 1.

Extrait du livre de Daniel Mermet - là-bas si j'y suis, carnets de route.

Il y a des idées comme ça qui vous traversent l'esprit comme les hérissons traversent la route. Sans raison. Le plus souvent écrabouillées par le gros camion du comme-il-faut. Pas toutes. Certaines survivent, persistent et saignent. Et dansent. La dissidence danse...


Voir ce que tout le monde voit, penser ce que personne ne pense.

Toute ma vie j'aurai voulu être un homme du monde. Un homme du monde au sens où Baudelaire l'entendait. Homme qui connait du monde tous les rouages, tous les usages, tous les savoirs.
A condition d'en faire des ailes, pas du plomb.
Pas comme ces vieux baroudeurs de bar et leur gilet multipoches comme autant de tiroirs plein d’anecdotes rasoirs qui ont tout vu, tout vécu, tout ressentu, tout pensu.
Ces missionnaires de l'impuissance ont répendu le "cynisme-média". Cette fausse lucidité qui est revenue de tout sans être allée nulle part.
Certains savent transmettre leurs expériences comme un noyau de cerise. Pas si difficile de les rencontrer. Tendre un peu l'oreille et s'arrêter. On les reconnait à ce qu'ils ont l'air de s'excuser un peu: "j'ai mangé le fruit de la vie et je suis arrivé à ce noyau. La suite de l'aventure est dedans."
Mais le plus souvent, ceux qui ontdes kilomètres au compteur vous jouent l'air du découragement :"Nous n'avons pas réussi, vous ne réussirez pas non plus".

Comment échapper à cette contagieuse inhibition d'un monde flapi, sûr d'être condamné à demeurer ce qu'il est?

Comment concilier saveur et savoir?

Comment éviter que la réflexion inhibe l'action?

(...)

Ah! Qui célèbrera la grâce de l'ignorance, la beauté du trou de mémoire, cette chance qu'est l'oubli. Ce gout du matin d'île quand un môme demande : Pourquoi la nuit est bleue, pourquoi les vaches n'ont pas d'écailles, pourquoi mon cul n'est pas du poulet?

"Pourquoi la Terre est plate?" demande un jour l'enfant Galilée

"Pourquoi les pommes tombent-elle?" se demande un autre gosse qui s'appelle Newton

Bizut, nouveau, novice, en route, nous partons ! En route les bleus ! Sur le tableau noire de cette page écrivons ceci :"Il ne s'agit pas de voir ce qu'on ne voit pas mais de savoir ce qu'on voit".

L'artiste, le savant, le poète, le penseur, la femme amoureuse, le mystique, l'idiot, l'enfant, les vrais voyants voient ce que tout le monde voit et pensent ce que personne ne pense. Sans la lumière de leur oeil, la vie fane en quelques minutes, vidée de sa substance même, son sang, son sens, son son. Nul n'a le monopole de ce regard, il abonde chez le tout-venant.

Sauf chez certaines professionnels. Voyageurs, écrivains, ethnologues, chercheurs, envoyés spéciaux, diplomates, missionnaires...

Ces marioles partent voir ce que personne ne voit mais ils pensent ce que tout le monde pense. Et leurs trouvailles sont conformes, soumises, aplaties. Dépourvues de la valeur ajoutée et subversive du regard singulier.