lundi 19 août 2013

Je suis animatrice sociale et socioculturelle.

Voilà ce que je réponds lorsque l'éternelle question du statut social est posée.
La valeur travail étant au centre de tout, ta place dans la société dépend du statut social que t'offre ton job.

Si tu as fait des études, que tu as dépassé le bac+3 et que tu as un job alors tout roule. Te voilà socialement normal. Tu peux prendre, discrétos, tous les jours, ta ration de Valium, on s'en fout. T'as un diplôme (sous entendu, t'es pas trop trop con) et tu bosses (sous entendu, tout va bien tu n'es pas un assisté social).

Si tu n'as pas fait d'études et que tu bosses, pas de bol !... Mais...tu bosses donc tu es courageux, tu es donc socialement accepté.

Si t'as pas fait d'études, que tu bosses pas... Tu sors ! Tu es ignare, fainéant, un vrai parasite, et tu dois sûrement subvenir à tes besoins en dealant du shit à la sortie des collèges de ton quartier.

Et, si tu es animatrice socioculturelle... Tu fais de la guitare en chantant des chansons débilitantes à des pré-pubères boutonneux autour d'un feu en te délectant d'un dégueulis de marshmallow cramés...façon Jugnot dans Scout Toujours...
Autant dire que socialement, ce n'est pas très acceptable, à 27ans, de faire de la pâte à modeler avec des mioches qui braillent... 

Pour obtenir cette considération merdique, il a fallu que j'obtienne un Bac Littéraire, que je passe un concours d'entrée dans une faculté (publique! Oui, à la fac on entre aussi sur concours...) et que j'obtienne un diplôme professionnel : un Diplôme Universitaire Technique option animation sociale et socioculturelle, en deux ans.
Je possède donc un diplôme professionnel de l'animation. En général c'est lorsque tu annonces ce diplôme qu'on te fait gentiment comprendre qu'un DUT c'est pas grand chose, faut pas déconner... T'es quand même pas médecin, hein !

Je considère souvent les animateurs comme les parias des professionnels du social. Considérations professionnelles réduites à néant, salaires de misère, représentation syndicale inexistante ou presque, précarité des contrats, temps partiels subis, horaires morcellés, aucun avantage social...

Les animateurs sont les intermittents du social, sans aucune protection, sans aucune visibilité publique. Au moins les intermittents du pestacle on les aime pas, parasites des assurances chômages, ils font parler d'eux, les animateurs, eux, sont absolument inexistants...

C'est la seule profession où l'on se permet de ne pas rémunérer les travailleurs au SMIC.
Un animateur, qui s'occupe "d'amuser" vos enfants pendant les vacances scolaires, est payé au forfait journalier. Souvent il embauche tôt le matin, aux alentours de 7h s'il y a ce qu'on appelle communément une "garderie" et il débauche au plus tôt vers 18h30, s'il ne se coltine pas la réunion de service qui peut parfois durer des heures... Il doit veiller seul au confort et à l'épanouissement d'un collectif d'enfants, au sens large, entre 3 et 18ans. Le tout pour un forfait BRUT qui oscille entre 25 et 50€ par jour...

L'argument que j'ai le plus souvent entendu pour justifier cet esclavagisme moderne serait que l'animation n'est pas un métier mais de la dépanne pour vieil ado chevelu, ou alors, une passion sans faille... Tu comprends, l'animation tu dois la vivre au plus profond de tes tripes, tu ne fais pas ça pour l'argent, tu es le Jésus des chtites n'enfants... Pour ton loyer et tes factures, tu peux toujours tenter de jouer de la gratte devant ton proprio ou d'offrir un collier de nouilles à Proglio mais, permets moi d'émettre quelques doutes....

Sauf qu'être animateur est une profession. Une profession intimement liée à l'éducation populaire. Être animateur c'est défendre des convictions. Ce n'est pas juste faire de l'occupationnel à la con et se travestir en Disneyland pour finir de perdre le peu d'amour propre qu'il te restait sur ton lieu de travail...

Animateur c'est être un pansement sur une hémorragie... C'est être multi-tâche, connaître et côtoyer un public généralement en très en précarité socio-économique, de la petite enfance jusqu'à la vieillesse ultime... C'est se confronter à la peine, à la tristesse des regards perdus et des peaux rougis par la difficulté de la vie.

Être animateur, c'est offrir des moments, c'est permettre des projets joyeux qui font battre le coeur d'un avenir, c'est essayer d'apaiser la solitude et la douleur persistante de tout ceux qui ne comprennent plus grand chose au bordel ambiant... Des enfants muets, des ados violents, des adultes dépassés et épuisés...C'est rappeler que la vie c'est aussi de la musique, des bonnes bouffes, du théâtre, de l'art, des rires, des cris de joie, des projets, des débats, du partage... Et cela, quelque soit le milieu et/ou le statut social des publics.

Rappeler que l'argent n'a pas le monopole du bonheur, bien à l'inverse.

Être
animateur n'est pas un job, c'est une profession. Une profession qu'il serait temps de respecter et de révaluer à sa juste valeur.

Les fêtes de quartier, toutes les activités des centres sociaux, les MJC (Maison de la Jeunesse et de la Culture), les points jeunes, tous les accueils extra et péri scolaires, les camps de vacances, les très nombreuses associations qui œuvrent pour l'accès au logement, aux droits pour tous, à l'accès aux soins pour tous, à la culture, aux loisirs, aux vacances.... Tous ces lieux, et tellement d'autres, n'existeraient pas sans l'animation sociale et socioculturelle....

Alors je continuerai à dire et à défendre mon statut d'animatrice sociale et socioculturelle !
Et je continuerai à ne pas être en très bon terme avec ma banque....